Un texte de Marion Daniel écrit à l'occasion d'une rencontre avec Simon Nicaise, jeune artiste qui a exposé cet été à Primo Piano à Paris.
Marion Daniel, docteure en littérature française, critique d’art et commissaire d’exposition, travaille sur les relations entre texte et image. Elle enseigne l’histoire de l’art à l’école des beaux-arts de Nantes. Depuis novembre 2010, elle est aussi commissaire associée au FRAC Bretagne, en charge de la programmation et des éditions.
Simon Nicaise, au rang d’un édifice
Simon Nicaise crée des sculptures qui sont des calembours visuels, des jeux de mots prenant une forme plastique. Il organise des reprises, des télescopages de références, d’idées et de pratiques quotidiennes. De la sculpture à l’objet, il décale, ajoute, détourne, comme dans ces pièces dans lesquelles il s’approprie des œuvres connues. Ainsi dans les « +1 » (2007-2010) –...
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Un texte de Marion Daniel écrit à l'occasion d'une rencontre avec Simon Nicaise, jeune artiste qui a exposé cet été à Primo Piano à Paris.
Marion Daniel, docteure en littérature française, critique d’art et commissaire d’exposition, travaille sur les relations entre texte et image. Elle enseigne l’histoire de l’art à l’école des beaux-arts de Nantes. Depuis novembre 2010, elle est aussi commissaire associée au FRAC Bretagne, en charge de la programmation et des éditions.
Simon Nicaise, au rang d’un édifice
Simon Nicaise crée des sculptures qui sont des calembours visuels, des jeux de mots prenant une forme plastique. Il organise des reprises, des télescopages de références, d’idées et de pratiques quotidiennes. De la sculpture à l’objet, il décale, ajoute, détourne, comme dans ces pièces dans lesquelles il s’approprie des œuvres connues. Ainsi dans les « +1 » (2007-2010) – il ajoute par exemple un module rouge à Stack Piece de Donald Judd –, où il reprend les grands noms en les déjouant. En déplaçant surtout les centres de gravité et les logiques internes. Post-conceptuel ou post-minimaliste, Simon Nicaise pourrait l’être dans une mesure toute singulière qui consiste à conjurer l’esprit de sérieux, en inventant une manière de circuler des idées aux formes et des formes aux idées. Comme dans cette série d’expositions imaginée non pas suivant un plan précis mais dans un temps indéfini, inaugurée à Paris dans l’espace Primo Piano, où il choisit un titre : « Le marteau sans maître ». Au Marteau sans maître (1934), recueil de poésie de René Char, donc, il empruntera ses parties, ou plutôt ses mouvements. Le premier s’intitule : « Bel édifice et les pressentiments ».
Il reprend des vers : « J’écoute marcher dans mes jambes / La mer morte par-dessus tête / Enfant la jetée-promenade sauvage / Homme l’illusion imitée / Des yeux purs dans les bois / Cherchent en pleurant la tête habitable ». Un mouvement s’y dessine des jambes à la tête, de la tête habitable aux jambes par-dessus tête. Avec finesse et entêtement, Simon Nicaise rassemble les contraires et désigne des endroits où des éléments s’entre-heurtent ou s’entrechoquent. Il se situe très exactement dans l’entre-deux, dans les lieux indécis où il reste toujours du jeu, où toutes les percées sont possibles. « L’artisanat furieux », « Bourreau de solitude », à partir de ces deux autres titres de Char, il imagine comme en musique – comme l’a fait Boulez à partir du même texte de Char – des mouvements à venir, dont l’ordre pourra être modifié, ou contrarié.
Du corps et du paysage
Dans ces vers de Char, il y a du corps et du paysage. C’est cet angle précis qu’a choisi Simon Nicaise, en ménageant dans ses paysages inventés à la fois des zooms et des panoramas. En guise de panorama, un ensemble de cratères ménagés dans le mur, à peine creusés dans le plâtre, sur lesquels des billes plantées là semblent avoir été projetées dans la verticalité du mur. Ces billes environnées d’un léger cratère convoquent toutes sortes d’images : l’onde de choc, les parties de billes dans lesquelles des trous se creusent, transformés au fil des jeux. Déformé par les simples propriétés des matériaux, aussi, ce buste de Maillol dans l’œuvre Excitation coercitive¹ , sur lequel de la limaille de fer est venue s’agglutiner pour mieux défaire le portrait, le défigurer. Simon Nicaise joue le plus souvent de l’association absurde ou insolite de plusieurs éléments, si insolite qu’elle vient transfigurer la matière. Ou la réduire à presque rien, la couvrir de ridicule. Dans la série « Première pierre », il accole une pierre sur un mur de parpaings cimenté. Il y a pléonasme ou redondance d’une première pierre fixée sur un édifice déjà existant, qui plus est sans spécificité ni particularité aucune.
Construire sur du sable
Dans l’exposition, un tas de sable semble tenu par un treuil, sans qu’un seul grain ne tombe. « Surélevé, comme si il allait être mis au rang d’un édifice », dit-il. Un amplificateur de son est relié à un coquillage, pour mieux écouter la mer : tout un kit de création d’images et de paysage. Dans ses travaux plus anciens, il travaille l’idée de risque, d’objet au bord de l’implosion, de l’explosion. Ainsi dans Souffre, une cheminée entièrement construite à l’aide de petites allumettes jaunes et rouges que le moindre frottement suffirait à enflammer. Des immenses allumettes de Raymond Hains, sortes d’effigies de dérision, il retient l’aspect tautologique. En créant, une fois encore, de nouvelles formes et de nouveaux paysages.
Marion Daniel
¹Excitation coercitive, 2011 Buste en bronze, aimants et poudre d’aimants. Il a remporté avec cette œuvre le prix Sciences-po pour l’Art contemporain.
Simon Nicaise, né en 1982, a fait ses études à l’école régionale des beaux-arts de Rouen. Il vit et travaille à Rouen et Paris. Voir le site de Simon Nicaise