En choisissant de revenir sur deux moments, véritables temps de compréhension et extraits des nombreuses rencontres avec
Audrey Martin, je me base sur des souvenirs clairs, de partage d’informations et de moments clés dans chacune des phases de production de l’artiste. Une infime partie de chaque construction est mise en avant par le dialogue et la narration, la rencontre et la discussion, qui se sont opérés lors de l’élaboration des œuvres. Le discours de l’artiste se construit parfois sur de minces idées, détails ou découvertes qui deviennent des pôles d’expression et de création d’une richesse infinie.
Peindre le fond de la boîte – septembre 2010
Iki, 2010, technique mixte, 200 × 300 × 20 cm, Installation Vidéo in situ, FRAC Languedoc–Roussillon
« Peindre le fond de la boîte », expression qui désigne un état...
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En choisissant de revenir sur deux moments, véritables temps de compréhension et extraits des nombreuses rencontres avec Audrey Martin, je me base sur des souvenirs clairs, de partage d’informations et de moments clés dans chacune des phases de production de l’artiste. Une infime partie de chaque construction est mise en avant par le dialogue et la narration, la rencontre et la discussion, qui se sont opérés lors de l’élaboration des œuvres. Le discours de l’artiste se construit parfois sur de minces idées, détails ou découvertes qui deviennent des pôles d’expression et de création d’une richesse infinie.
Peindre le fond de la boîte – septembre 2010
Iki, 2010, technique mixte, 200 × 300 × 20 cm, Installation Vidéo in situ, FRAC Languedoc–Roussillon
« Peindre le fond de la boîte », expression qui désigne un état de négociation artistique où le souci du détail devient d’une importance
capitale.
J’ai rencontré Audrey Martin dans le cadre de l’exposition, Soit dit en passant, au Frac Languedoc-Roussillon de Montpellier en 2010. Je l’ai assisté sur le montage de sa pièce Iki. Durant une semaine nous avons monté ce mur de deux mètres sur trois en Siporex recouvert, frotté et lissé de magnésie. Elle y projetait une vidéo, telle une carte postale ajustée à la taille d’un parpaing. Considéré comme un élément de construction du mur ce film d’une marche effectuée à travers les Torii japonaises, a été réalisé sur le site de Fushimi Inari, à Kyoto, composé de milliers de portails traditionnels.
Iki, en japonais signifie, esthétique de la sobriété.
Nous sommes à ce moment là, à J-1 du vernissage. Les étudiants de l’université de Montpellier qui ont organisé cette exposition, fourmillent dans tout l’espace de la galerie. L’épuisement, le stress et l’excitation nous ont appris pendant cette semaine de montage à être patients, à éviter tout incident et surtout à ne plus faire attention aux interventions inappropriées.
Nous entrons maintenant dans la dernière étape du montage, les réglages. Il s’agit d’être précis, et de venir à bout de cette installation afin que l’artiste puisse appréhender le moment du vernissage avec un tant soit peu de sérénité. Il faut rester calme car les éléments perturbateurs sont nombreux, la pièce est presque achevée. Nous avons rangé les fils du vidéoprojecteur sous des goulottes grises, repeint ces goulottes, construit une boite pour le vidéoprojecteur, trouvé la bonne taille de projection sur le mur, dans le coin inférieur droit, au ras du sol. Le reflet de la lumière colorée sur la blancheur impressionnante de la magnésie est saisissante, sobre, efficace et tout simplement magnifique dans la semi obscurité du fond de la galerie. Audrey Martin n’est pas encore sûre du résultat et les derniers instants d’observation s’avèrent d’une importance non négligeable. Cependant quelques détails attirent son attention.
A – Il va falloir peindre la boîte tu ne crois pas ?
L – On peut, je remets un coup de bombe grise dessus, c’est parfait comme ça, ça se fondrait presque dans le sol !
La concentration sera de courte durée lorsqu’un nouvel élément perturbateur vint inspecter l’installation de l’artiste. Un état de circonspection nous atteint soudain lorsque l’énergumène commence à tourner autour du mur en déblatérant sa science désinfuse sur la meilleure manière de vidéoprojeter une image. Nous devenons spectateurs d’une vaste farce en attendant que le monologue se termine. La perte de temps succède à l’incompréhension, l’agacement puis l’impuissance face à se discours négationniste quant à la taille de l’image, sa qualité, son rendu et surtout, son contenu ! Visiblement le mec s’y connait !
La panique est proche mais nous devons tenir bon, faire comme si rien ne venait d’arriver, effacer cette silhouette pataude aux grands gestes illustrant sa frustration de ne rien comprendre au pied du mur. Nous ne prendrons pas le temps de lui expliquer quoi que se soit, nous sommes effarés. Cependant il faut continuer…
A- « Mais c’est qui ce type ?
L- Je n’en sais rien !
A- Mais, ça va la vidéo, c’est bien non ?
L- Ne t’inquiète pas, c’est top ! Ne change rien, ça fonctionne très bien comme cela.
A- T’es sûr ? …
L- Oui.
L’ étape ultime du doute artistique se joue dans ce dernier détail
A-… Il faudrait peindre le fond de la boîte du vidéoprojecteur. J’ai l’impression qu’on voit l’intérieur. »
Et nous avons peint le fond de cette boîte. Après une lutte contre le temps, l’angoisse de l’artiste et la volonté sans faille d’accorder de la justesse à l’œuvre ; repeindre le fond de la boîte est peut être bien une finalité, une ultime action qui emmène l’œuvre d’art a son paroxysme.
Le pouvoir de détruire la Terre – août 2013
Global Damages, 2013-2014, série de cartes postales, 10,5 × 14,8 cm, impression numérique, sur papier Trucard, première édition, collection privée
Cette série de cartes postales a été présentée lors de l’exposition Les montres s’arrêtent, imaginée et produite avec l’artiste Muriel Joya et le graphiste Thomas Rochon ; dans les locaux d’Illusion & Macadam à Montpellier.
www.purdue.edu/impactearth
Ce site est à l’initiative d’une première édition de cartes postales en 2013. Global Damages existe en deux séries. Audrey Martin a sélectionné dix scénarios pour chaque série. Les spectateurs peuvent, lors de l’exposition repartir avec leur exemplaire.
La découverte du site internet reste un moment de fiction totale qui par projection imaginative nous a quelques fois dressé les poils.
A – Je viens de t’envoyer un lien génial. Un site web de simulation de catastrophe où l’on peut personnaliser sa météorite pour la faire s’écraser sur Terre. Un calcul basé sur de vraies données scientifiques nous permet d’avoir accès aux conséquences virtuelles de ce qui aurait pu se passer si cette météorite était entrée en contact avec la Terre.
L- Il est dingue ce site. Je vais essayer tiens !
Choisir l’axe, le poids, le diamètre, la vitesse, la matière, la distance ; créer un monstre « naturel » afin de savoir quels dégâts seraient produits en cas d’impact. La simulation et les résultats produisent un effet assez fascinant. Plus les résultats sont impressionnants, catastrophiques, inimaginables, plus nous devenons des intéressés, des obsédés du destin de notre planète.
Force est de constater qu’en quelques minutes le reflexe commun est la destruction totale et ultime… À la recherche d’un pouvoir inconcevable ou bien d’un résultat précis, détruire notre planète n’est qu’une question de curiosité, mais le doute persiste, le grain de peur se façonne, ce n’est pas réel, et pourtant…
L – « Ca fait dix fois que j’essaye de créer un tsunami, je n’y arrive pas…
A- J’ai réussi à complètement décaler la Terre de son axe de rotation, tout a brûlé, le souffle de l’impact a rasé quasiment toute les villes.
L- J’ai détruit la Terre, il ne reste plus rien, les débris de notre planète se perdent dans l’espace. »
Notre lien à la catastrophe se poursuit dans cette réalisation de l’artiste. La catastrophe à emporter, nous offre le plaisir d’envoyer une carte postale à qui bon nous semble comme souvenir d’un évènement à venir où comme prédiction de vacances.
Audrey Martin a réactivé cette pièce cette année autour d’un projet d’édition intitulé Global Damages Replay, porté et réalisé avec Thomas Rochon. La première présentation a eu lieu à Montpellier à la Panacée et la dernière à Mons au Café Europa. Il s’agit pour les deux artistes de réaliser un travail d’interprétation collective sur un principe de possibilités de fin du monde.