La ménagerie du verre
A Vertou, zone industrielle de la Vertonne, dans un espace de 180 m2 avec trois fours en activité, Glass-fabrik¹ a pris place depuis quelques mois dans le paysage nantais. « Atelier artisanal d’expérimentation et de production d’œuvres et d’objets en verre au service des créateurs », c’est sous ces termes que Stéphane Pelletier et Simon Muller, fraîchement débarqués dans la région et créateurs du projet, présentent une entreprise qui a pour la particularité d’avoir pour principaux clients des artistes. Dessiner la carte d’identité de Glass-fabrik en compagnie de ces deux têtes chercheuses, devient l’ occasion de faire le point sur les enjeux concernant les définitions actuelles de l’artisanat et les croisements entre l’art contemporain et la tradition des métiers d’arts : l’évocation en une seule voix d’un travail du verre pratiqué en stéréo.
La ménagerie du verre, une interview de Frédéric Emprou
Frédéric Emprou est critique d'art, il collabore pour diverses revues et a publié dans divers ouvrages collectifs, catalogues d'art contemporain.
1 - Depuis la rédaction de cet article en 2014, l'entreprise Glass-fabrik a été repabtisé ArcamGlass.
- Comment s’est passé la genèse de Glassfabrik ?
Le projet d’atelier a commencé il y a trois ans dans l’est de la France. Quand on s’est rencontré, il y avait ce désir de créer une structure. L’idée était de trouver une complémentarité et de fonder une équipe. Après deux ans passés au CERFAV de Vannes le Châtel qui forme des verriers, souffleurs de verre ou des vitraillistes, on a voyagé à travers l’Europe pour apprendre différentes techniques du soufflage de verre. On voulait trouver un business intéressant techniquement et nous permettant de ne jamais reproduire les mêmes choses. Cela partait aussi du constat d’un manque, personne n’était vraiment impliqué dans les arts plastiques et l’artisanat verrier en France. Il y avait un vrai besoin et quelque chose à faire.
- La particularité de Glassfabrik c’est de ne répondre qu’à des commanditaires issus de l’art contemporain. D’où est vient cette envie de travailler avec des artistes ?
Notre entourage d’amis était composé d’artistes. Il y a ce goût personnel et l’intérêt pour la chose depuis longtemps. Nous avons travaillé pour des employeurs qui faisaient cela en Suède et en Suisse pour le design ou des artistes comme Jean-Michel Othoniel. La vocation de Glassfabrik dès le départ était de travailler avec des plasticiens.
- Vous êtes assez unique dans votre genre puisque comme vous le dites en France, il s’agit surtout de centres d’artisanat verrier comme le CIAV de Meisenthal en Moselle ou le CIRVA à Marseille. Quel lien entretenez-vous avec eux ?
- Amical et respectueux. Ce sont des centres de recherches, on se donne régulièrement des nouvelles comme avec le musée de Sars-Poterie dans l’est. Ce sont des structures qui nous connaissent bien. La majorité des privés qui prennent une commande de temps à autre, sont un peu éloignés du milieu de l’art contemporain, le sujet en lui-même ne les intéresse pas.
- Le quotidien de votre travail c’est du sur mesure avec des projets très différents. Quel est le cheminement classique de production à Glass-fabrik ?
Souffler une pièce passe par la recherche de process. Il y a d’abord une phase de discussion très longue avec l’artiste pour réussir à comprendre le projet. Cela passe par les mots et des dessins avant le prototypage. Il faut savoir si l’idée est faisable. Le client doit se rendre compte des différentes techniques que l’on propose : le soufflage, le modelage, des techniques de « fusing ».
- Vous affectionnez particulièrement ce temps d’atelier…
Les gens viennent visiter des souffleurs de verre. C’est le meilleur moment du rapport que l’on entretient avec des artistes et leur travail. Ils aiment ce rapport de dialogue qui est devenu un peu aussi notre marque de fabrique. Pendant la production de la coulée de lave que l’on fait aux Oblates pour Hehe, le collectif est complètement rentré dans le processus de fabrication.
- Quand vous parlez du rapport empirique de l’artiste, c’est la même chose pour vous…
Chaque projet nous pousse dans nos retranchements physiques, psychologiques et techniques. Toutes les commandes reçues sont de nouveaux questionnements. Même si l’on maîtrise le matériau, il y a toujours des surprises. A la différence de la plupart des autres ateliers qui ont une production établie, un projet s’en va et un autre arrive.
- La visite à l’atelier est obligatoire ?
Non, pour de gros projets, il y a un passage en atelier, surtout lorsqu’ils impliquent quinze jours de soufflage comme ce fut le cas pour une commande de Loris Gréaud. Cela a duré trois semaines : c’étaient des éléments soufflés dans des moules en terre qui permettaient de donner une texture particulière au verre pour des pièces très fines. Les plus grandes faisaient quatre-vingt centimètres de large. La forme et le poids étaient complexes à sortir, ce sont des dimensions qui nous dépassent, c’est une question de prouesse physique.
- L’essentiel de votre activité se caractérise par le soufflage de verre ?
C’est la chose que les gens connaissent le mieux. Chacun a connu un souffleur de verre sur la côte. Mais nous faisons aussi de la pâte de verre qui équivaut à la fonderie : une technique de moulage à la cire perdue où l’on fait couler du verre comme on le fait avec du métal en fusion dans un moule. Cela permet des projets très sculpturaux. Le soufflage de verre permet de faire des contenants. A l’origine, c’était pour la vaisselle et l’utilitaire.
- Des artisans qui ne travaillent qu’avec des artistes, ce n’est pas rien en soi…
Plus que dans l’artisanat, il y a vraiment ce positionnement dans l’art contemporain. On a trouvé notre place dans la chaîne de production de l’art. Il y a un vrai un intérêt à décaler les métiers d’art dans la production : changer une image un peu vieillissante du vase balnéaire ou de la décoration qui ne se vend plus. Cela ne nous a jamais fait rêver en fait.
Comment voyez vous l’évolution du médium entre l’objet d’art et artisanat ? Comment l’objet en verre est perçu par les gens ?
Quand tu parles d’artisanat et de souffleurs de verre, les gens pensent souvent à la côte le dimanche. Pour nous, c’est comme d’aller au rayon des verres dans un supermarché en te disant qu’il ne faut surtout pas faire cela. Nous sommes allés vers un secteur où il y avait une demande.
- Qu’est ce que cela fait d’être au croisement du sur mesure, du savoir faire et de la pièce unique ?
Cela n’a rien de nouveau en soi. Mais c’est peut être quelque chose d’exceptionnel en ce moment si l’on pense aux cinquante dernières années. Dans l’histoire, c’est un phénomène assez nouveau que les métiers d’art soient aussi has been. Tu as peut être vu l’exposition à la Maison Rouge, Théâtre du monde, avec la présentation de la collection de David Walsh, dans laquelle étaient exposés en parallèle des œuvres d’art contemporaines et des œuvres historiques voir pré colombiennes ou africaines. Tout était absolument mélangé, un objet utilitaire posé à côté d’une œuvre contemporaine ou plus loin un masque africain. On a un peu perdu cette chose là dans les métiers d’art ces dernières décennies.
- Comment vous l’expliquez ?
Dans les années 70, les gens se sont mis à faire de la poterie ou du soufflage de verre : monter des ateliers et faire des cruches qu’ils vendaient aux touristes, pensant que tout le monde est un créateur. Les enfants de cette génération ne s’y sont pas forcément retrouvés parce que déjà cela ne marchait plus économiquement. Ce que l’on fait est un retour à la tradition plutôt que quelque chose de nouveau. Les trente dernières années ne sont pas représentatives, on se voit plutôt comme des artisans du début du XXème siècle.
- Vous voulez dire que depuis cette époque là, il y a eu une standardisation de l’objet en verre ?
Le marché allait bien, l’époque était propice à cela. Des collègues un peu plus vieux nous racontent les périodes des années 80 où ils reconnaissent avoir fait des choses supra moches. Des bols avec trois paillettes de couleurs ou des éléments tous tordus avec un savoir faire pas très élevé. Ils faisaient un gros chiffre d’affaire.
- Dans l’art contemporain, il y a eu aussi des modes quant à des savoirs faire, la céramique notamment s’est inscrite en force dans le paysage de ces dernières années…
La céramique a de particulier que tout le monde pourrait presque en faire. Il y a des difficultés techniques, mais cela ne coûte pas énormément. Avec le verre, c’est plus difficile, cela demande des moyens financiers plus importants. Ce n’est pas plus technique que la céramique mais plus contraignant dans la mise en œuvre. Peu d’artistes contemporains pourront être autonomes sur du verre.
- Pourquoi Nantes ?
Dans les ateliers à Vannes Le Châtel, nous travaillions déjà sur une échelle nationale. Dès les débuts de l’entreprise, notre but n’était pas de rester en Lorraine. Le Voyage à Nantes nous a sollicité pendant deux années de suite avec les Polyèdre au Temple du goût et la coulée de lave au parc des Oblates avec Hehe
- Comment voyez vous l’évolution de l’activité de Glass-fabrik ?
Cette année, deux événements vont sortir de l’ordinaire. Au Palais de Tokyo, nous serons présents dans une exposition organisée par l’Institut national des métiers d’art et dirigé par Gallien Déjean qui met en relation quatre ou cinq artistes avec des artisans : une belle redéfinition des métiers d’art. Dans l’est de la France, le Vent des forêts nous invite aussi à fabriquer du verre dans la forêt. L’atelier sera délocalisé et un autre sera constitué en pleine forêt. On aimerait aussi constituer un fond de pièces faites par Glassfabrik, éditer un catalogue autours des productions des dernières années.
- Il y a aussi des partenariats locaux qui se développe comme avec l’école des Beaux-Arts ?
Un workshop va se mettre en place à la manière de l’atelier relais capables de proposer de nouvelles techniques et une ouverture pour les étudiants. Pendant deux jours, ils viendront dans l’atelier avec un projet qu’on réalisera avec eux. Ce que l’école recherche c’est le fait que les étudiants puissent être dans un rapport professionnel. Ils seront face à un technicien dans un rendez vous, on va les traiter comme des clients.
- La chose récurrente, c’est cette question d’attitude…
Il y a toujours cette histoire d’aventure. Le montage de Glass-fabrik s’est fait au culot, nous n’avions juste qu’un site Internet et pas d’atelier. En commençant une résidence avec le CIRVA, cela nous a nous donné une crédibilité dans le monde de l’art. Nous avons toujours provoqué les choses. Et cette année, c’est la première fois que l’on commence à venir nous voir.